Les plantes génétiquement modifiées (PGM) induisent-elles des cancers?

Les PGM possèdent un ou plusieurs gènes supplémentaires. Cette transformation peut-elle induire des effets toxiques à long terme, voire des cancers chez les animaux et les humains qui les consomment ? Pour répondre à cette question, la communauté scientifique étudie la toxicité éventuelle des OGM depuis de nombreuses années.

La notion de toxicité et la notion de risque à long terme pour les aliments

Autant il est « simple » de mesurer la toxicité d’une substance chimique comme un additif ou un pesticide en surexposant les modèles animaux pour mesurer des effets potentiels, autant il est difficile d’évaluer la toxicité potentielle d’un aliment dans toute sa complexité car il n’est pas possible d’augmenter la quantité d’un aliment ingéré sans risquer un déséquilibre nutritif qui induit à lui seul des conséquences pour la santé. Les tests de toxicité exigés avant la commercialisation d ‘une PGM permettent avant tout d’écarter les plantes qui produiraient une substance elle même toxique ou présentant des effets à très faible concentration. Par exemple, dans le cas d’une PGM tolérante à un herbicide ou résistante à un insecte, il est possible de purifier ces protéines et de les tester.

L’évaluation à long terme est plus compliquée à mettre en œuvre. Tout d’abord parce que l’évaluation à long terme des aliments que nous consommons régulièrement n’a jamais été faite. Ensuite, le modèle animal n’est pas forcément pertinent pour évaluer un potentiel effet carcinogène. Les toxicologues utilisent par exemple des cellules humaines en culture pour évaluer certains médicaments..

Comment sont alors évalués les aliments issus ou constitués de PGM ?

L’Union européenne a décidé dès 2001 d’évaluer l’innocuité des PGM selon une procédure communautaire en amont de leur mise sur le marché. Elle repose sur une approche comparative dite d’équivalence en substance qui consiste à comparer la plante génétiquement modifiée et une plante isogénique, c’est-à-dire aussi « proche » que possible (même variété). Un test de toxicité sub chronique est désormais obligatoire en Europe (90 jours sur rats). Ce test permet d’évaluer les effets potentiels secondaires en utilisant la dose la plus élevée de l’élément à tester qui ne provoque aucun effet décelable en toxicité aigüe chez les animaux. Ainsi, pour le rat, les toxicologues substituent 30% de maïs génétiquement modifié aux 30% de maïs conventionnel de la ration des animaux testés pendant 90 jours.

L’EFSA, Agence européenne de sécurité des aliments, évalue sur la base d’un traitement statistique si la plante génétiquement modifiée est ou non aussi sure que la plante isogénique. Si l’évaluation des risques ne montre aucune différence significative, l’avis de l’EFSA enclenche le processus réglementaire de demande d’autorisation de mise sur le marché. Sur la base des connaissances actuelles, les aliments issus ou constitués de PGM peuvent donc être considérés comme aussi surs que les autres aliments.

Quelles sont les études de toxicité menées à long terme sur les PGM ?

Une étudeà long terme publiée en septembre 2012 sur un maïs tolérant à un herbicidea relancé la question. Elle n’était pas une étude de cancérologie – aux dires de ses auteurs- mais plutôt une étude complète d’effets toxiques à long terme.

 Sur l’étude même, un consensus se dégage : il n’est pas possible de conclure à la toxicité  de ce maïs sur la base de cette seule expérience. Pour les scientifiques qui la réfutent,  « le dispositif expérimental, les outils statistiques utilisés et les interprétations données par les auteurs souffrent de lacunes et de faiblesses méthodologiques rédhibitoires » (Avis du HCB). A ce jour, toutes les agences de sécurité alimentaireont conclu en ce sens. Pourtant, pour répondre aux interrogations de la société, ou pour suppléer au peu d’études à long terme, un appel à la Commission européenne a été lancé pour refaire l’étude avec un nombre plus important de rats.

Certains scientifiques rappellent aujourd’hui qu’une étude à long terme permettrait d’enrichir la connaissance sur la toxicité éventuelle d’un produit à long terme mais ne permettra probablement pas d’étudier plus précisément le potentiel cancérogène.

 

Interview de Gérard PASCAL

Directeur de recherche honoraire (INRA)

 

La recherche d’effet toxique à long terme sur des aliments a-t-elle un sens et a-t-on les outils pour le faire ?

Cette recherche a bien entendu un sens puisque, d’une façon générale, les consommateurs sont attachés à connaître les relations entre leur alimentation et leur santé et en particulier les liens avec les pathologies les plus prégnantes, affections cardiovasculaires, diabète, obésité, cancers qui apparaissent pour l’essentiel à long terme. Ces relations sont cependant très difficiles à mettre en évidence en raison de l’absence d’outils adaptés lorsque les effets sont de faible amplitude et se manifestent à long terme. L’épidémiologie et la toxicologie expérimentale ont été tout à fait capables de mettre en évidence des effets comme ceux du tabac, de l’alcool ou de cancérogènes génotoxiques comme certains colorants azoïques ou des mycotoxines. Ces approches sont moins adaptées lorsque l’on cherche à mettre en évidence des effets moins marqués, mais qui pourraient avoir des conséquences en santé publique à long terme comme les hypothétiques dangers des PGM. En effet, les enquêtes alimentaires lors des études épidémiologiques sont fragiles et seules les études d’intervention permettent de conclure en termes de relations cause-effet. En toxicologie, mis à part les effets de perturbateurs endocriniens lorsqu’ils sont démontrés chez l’homme (situation rare), c’est en « forçant la dose » que l’on peut mettre en évidence les effets d’agents peu actifs et se donner un facteur de sécurité. Or avec un aliment, on ne peut pas se doter de facteur de sécurité puisque le plus souvent, l’exposition de certains groupes de consommateurs est proche de la quantité maximale tolérée par l’animal lors des essais de toxicologie qui sont peu sensibles et peu spécifiques. Il convient donc de poursuivre des travaux engagés depuis plus de quinze ans pour valider des approches plus adaptées, grâce, notamment, à la métabolomique.

 

Que pensez-vous de l’appel à projet lancé par la Commission européenne sous l’égide de l’EFSA pour refaire une étude à long terme sur le maïs NK603 ?

Comme scientifique, je devrais être surpris par la publication de cet appel à projet, doté d’un budget de 3M€. En effet, aucun groupe d’experts scientifiques dans le monde n’a demandé la mise en œuvre systématique d’expérimentation à 2 ans pour évaluer le risque sanitaire de la consommation de PGM ou de produits qui en sont issus. Des études à long terme sont envisagées si les résultats de toutes les déterminations préalables, en particulier les études de toxicologie sur rongeurs à 90 jours, laissent présager un doute quant à leur innocuité. Cette situation ne s’est jamais présentée.

De plus, l’Union européenne investit déjà un budget de près de 6M€ dans le soutien à un projet intitulé GRACE (GMO Risk Assessment and Communication of Evidence) qui a en particulier pour but d’évaluer les avantages et les limites des essais toxicologiques à 90 jours et des études in vitro, et d’envisager les circonstances dans lesquelles ils devraient éventuellement être complétés par des études à plus long terme.

Comme citoyen je ne suis pas surpris car j’imagine que la pression politique a été forte pour imposer de recommencer une étude récemment publiée, dont la communauté scientifique internationale a dénoncé toutes les faiblesses et réfuté l’interprétation des résultats, mais dont l’accompagnement médiatique a inquiété les consommateurs.

 

Des recherches de cancérologie sur les aliments sont-elles mises en œuvre ? Si des études « OGM et cancers » devaient être faites au niveau européen, quelles en seraient les conditions ?

De telles recherches de carcinogenèse sont très difficiles à mettre en œuvre chez les rongeurs de laboratoire : on ne peut que difficilement conduire les expérimentations à 2 ans, car la plupart des souches d’animaux de laboratoire développent spontanément à ce terme des tumeurs avec une fréquence élevée qui rend l’interprétation des résultats difficile, sauf à utiliser des effectifs très importants. Il ne s’agit pas d’un problème nouveau puisque dès 1994, l’une de mes collaboratrices avait participé à Washington, à un colloque qui traitait spécifiquement de la question. Dans le cas d’un aliment, on se trouve confronté à une difficulté supplémentaire : il convient de savoir quelle quantité de l’aliment les animaux peuvent accepter sans rejet et sans souffrir de déséquilibre nutritionnel. Il convient également de disposer d’un aliment témoin aussi proche que possible de l’aliment expérimenté ; c’est particulièrement important dans le cas des PGM.

Il ne m’appartient pas de me substituer à l’EFSA pour définir les conditions expérimentales d’une étude « OGM et cancer », mais je n’aurais pas, d’emblée, comme le fait la Commission européenne, décidé d’une durée de 2ans en raison des difficultés évoquées ci-dessus. Un essai à 6 mois, si l’on tient compte des résultats des déterminations qui doivent précéder une telle étude peut permettre de mettre en évidence un risque cancérogène si des indices conduisent à le suspecter.